Dans quelques semaines, les 6 millions d’électeurs ivoiriens
seront appelés aux urnes pour répondre à l’unique question : « Approuvez-vous
le projet de Constitution proposé par le Président de la République » ?
L’avant-projet de cette constitution a été remis au Chef de
l’État le samedi denier par le comité d’experts en charge de sa rédaction.
Selon les informations, le parlement ivoirien aura désormais deux
chambres : une « assemblée législative » et un « Sénat »
dont 2/3 seront élus et 1/3 nommés par le Chef de l’État.
Si cette information est confirmée, les ivoiriens seraient en
droit de demander l’utilité d’un Sénat pour la Côte d’ivoire et la pertinence
du mode de désignation de ses membres.
Qu’est-ce qu’un Sénat
Un sénat est une institution politique du pouvoir législatif dans
un régime à parlement bicaméral.
Le parlement bicaméral est une forme d’organisation du pouvoir
législatif qui divise le parlement en deux chambres distinctes, une appelée
« chambre haute » et une autre « chambre basse ».
Objectif du bicaméralisme
Le système bicaméral a pour objectif de modérer l’action de la
chambre basse, élue au suffrage direct et représentant directement le peuple.
Dans un État Fédéral comme les États Unis ou l’Allemagne, la
chambre haute est une assemblée constituée des représentants des États fédérés
(Ex. Sénat aux États Unis, Bundesrat en Allemagne). Et la chambre
basse quant à elle est une assemblée qui représente les citoyens. C’est par
exemple la chambre des représentants aux États Unis et la Bundestag en Allemagne.
Dans un Etat unitaire, le
système bicaméral est instauré pour permettre à la chambre haute de tempérer le
pouvoir de la chambre basse. Considérant que la chambre basse
relevant directement du peuple peut dans certains cas s’avérer populiste
ou être en rupture avec les réalités du peuple, la chambre
haute est appelée à relire et reconsidérer les textes votés par la chambre
basse, donc modérer cette chambre.
A l’observation, le choix du système bicaméral pour la Côte
d’Ivoire qui est un pays unitaire est légitime et une excellente chose à
condition que ce soit dans le seul but de modérer le pouvoir de l’assemblée
nationale (chambre basse) qui pour le plus souvent est largement mono-colore ou
acquise à la cause des régimes en place. Dans ce cas, la création
d’un Sénat serait une belle avancée démocratique car « les
institutions ne sont légitimes que si elles sont socialement utiles ».
Mais dans le cas contraire où l'objectif
serait de servir de « garage » pour le personnel politique ou des
militants "sans emploi" d'un pays politique, cela sera dommage non
seulement pour la démocratie mais aussi pour la société ivoirienne.
Modes de constitution du sénat
Au regard des pratiques dans le monde, on peut relever 5 modes
d’établissement du Sénat:
1. La désignation au suffrage
universel direct;
2. La désignation au suffrage universel indirect,
3. La désignation mixte (directe et
indirecte)
4. La désignation par “système hybride”
5. Des exceptions
- La désignation au
suffrage universel direct
Dans ce cas, l’ensemble du corps électoral (ceux inscrits que le
liste électoral) est appelé à choisir, parmi les candidats en lice, lequel
occupera la fonction de Sénateur.
C’est le cas aux Etats Unis, au Libéria et au Nigeria
- La désignation au suffrage universel indirect
Dans cet autre cas, les sénateurs sont élus par un collège
électoral de « grands électeurs », eux-mêmes élus par les
citoyens. Pour le plus souvent, comme c’est le cas en France, ce collège
de « grands électeurs » est composé des députés, des conseillers
municipaux, des conseillers régionaux et des sénateurs.
C’est de cette manière que sont désignés les sénateurs en France,
au Burkina Faso, en Allemagne, en Afrique du Sud, etc.
- La désignation mixte (directe et indirecte)
Dans le système mixte,
c’est une désignation combinant élection au suffrage universel
directe et élection au suffrage indirecte.
C’est l’exemple en Espagne, où une partie des Sénateurs sont
désignés par une élection au suffrage universel direct dans les provinces et
une autre partie des sénateurs sont élus indirectement par l’assemblée
législative de chacune des 17 communautés autonomes(L’Espagne est un
Etat-Régional divisée en 17 grandes régions autonomes appelées communautés
autonomes).
C’est aussi ce modèle qu’ont adopté le Soudan, le Japon et le
Belgique.
- La désignation par “système
hybride”
Enfin, le dernier
modèle de désignation qu’on pourrait appeler« système hybride » est
assez rare dans le monde. Dans ce cas, une partie des sénateurs est élue au
suffrage universel indirect ou direct et une autre partie nommée par le
Président de la République. C’est le cas du Cameroun.
- Des exceptions
* Le Canada
Au
Canada, les Sénateurs sont tous nommés par le Gouverneur Général sur
recommandation du Premier ministre, Chef de l’Exécutif. Cependant, la liste des
personnes recommandées par le Premier ministre pour nomination est
établie par un organisme indépendant et non partisan dénommé « Comité
consultatif indépendant sur les nominations au sénat ». Son mandat est de
fournir au Premier ministre une liste de personnes qui ont entre 30 et 75 ans à
nommer comme Sénateur après un appel à candidature ouvert et libre sous des
critères préétablies.
* Le Royaume Uni
Au Royaume Uni, le Sénat appelé Chambre des Lords est composé de trois
(3) grands groupes tous nommés par la Reine (personnalité neutre et
non partisane) sur proposition du Premier Ministre: les Pairs à vie (Life Peers), Les Pairs spirituels et les Pairs
héréditaires
Aussi, il y a deux types de « Lords Pairs
» :
· - Les Lords Partisans (issus des partis politiques)
· - et les Lords
Indépendants (sans parti politique, issu de la société). On
appelle les membres indépendants des « Crossbenchers ». Ils ont un
caractère rassembleur, donc pas de chef de file. Leur indépendance constitue
l’un des aspects caractéristiques de la Chambre des Lords.
Mode de sélection des trois (3) grands groupes au
sein de la Chambre des Lords :
1 . Pairs
à vie (Life Peers)
Les Life Peers sont pour la plupart d'anciens élus à
la Chambre des Communes, ou d'anciens hauts-fonctionnaires, juges, ou anciens
industriels ou anciens leaders syndicaux. Chaque gouvernement (la majorité au
pouvoir) et chaque parti d'opposition a le droit tous les ans de proposer de
nouveaux Life peers.
2 . Les
pairs héréditaires
Les pairs héréditaires deviennent « lords » de père en
fils. Ils sont 92 issus parmi les « grands » du Royaume. Le pouvoir
se transmet donc dans ce groupe de « père en fils ».
3 . Les
pairs spirituels
Ils sont 26 issus du haut clergé de l’église Anglicane. Ce sont
les Archevêques et évêques de ladite Église.
La plupart des Lords ne touchent pas de salaires, à l’exception de
primes de présence pour siéger à la Chambre ou aux réunions de commissions. Les
membres de la Chambre des Lords ne représentent pas de circonscriptions.
Depuis 2000, une commission indépendante de nomination des Lords a
été créée avec pour mission de faire des recommandations de nomination de
personnes non partisanes (indépendantes). Aussi, elle filtre les nominations
pour tous les Life Peers, y compris ceux proposés par les partis politiques du
Royaume-Uni, afin de s’assurer des plus hauts standards de bienséance.
Au regard de ces expériences citées plus haut et des différents
modes de désignation, les citoyens sont en droit de se poser quelques
questions dans le cas de la réforme du parlement ivoirien au-delà de sa
pertinence:
- Quel est le
(réel) objectif de la réforme du parlement ivoirien dans le contexte politique
qui est le nôtre au point de vouloir nommer une partie des Sénateurs?
· -
Est-ce pour tempérer la chambre législative (Chambre Basse) ?
- Serait-ce pour contenter
un quelconque personnel politique ou des « copains de lutte » ?
Si l’objectif ne vise simplement pas à « caser » des anciens
copains, nous pensons qu’avec le choix d’un mode de
désignation transparent et adapté à notre contexte, le Sénat pourrait
contribuer à améliorer effectivement notre démocratie et la gouvernance. Il
faut donc que le Sénat prochain soit plus légitime et socialement utile. Pour
se faire, on propose:
Propositions
1
- Soit on procède par une élection de
l’ensemble des sénateurs au scrutin universel direct
2
- Soit on procède par une élection de
l’ensemble des sénateurs au scrutin universel indirect par un collège
d’électeurs composé des conseillers municipaux, des conseillers régionaux, les
maires, les députés, les candidats aux élections sénatoriales, les faîtières et
réseaux de syndicats et ONG.
3 - Soit
on procède par des nominations sur proposition de :
- Des partis et groupements politiques de l’opposition
- Des partis et groupements politiques du pouvoir
- Du conseil national de la jeunesse
- Du conseil national de la femme
- Des collectivités locales (UVICOCI et ARDCI)
- De la Chambre des rois et chefs traditionnels
- D’un collège des chambres professionnelles, les organisations professionnelles des travailleurs et employeurs et des organisations de la société civile.
Pour terminer, on retient que même si la création d’un Sénat peut
se justifier, sa pertinence dans notre système politique et son utilité sociale
dépendent entièrement du mode qui sera privilégié pour la désignation de ses
membres. Le mode de nomination exclusive par le Chef de l’Etat n’est pas assez
pertinent dans la mesure où notre contexte est marqué par une forte ascendance
de l’exécutif sur les autres pouvoirs et surtout dans un environnement
politique où des personnes nommées à des fonctions se sentent redevables ou se
donnent le droit d’un « devoir de gratitude ».
Faisons donc le bon choix pour que le Sénat soit
socialement utile.
Magloire N'DEHI
Si on a un Senat, on peut fermer le Conseil Economique et Social donc la raison d'etat est peu connu?
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