mercredi 28 septembre 2016

Réforme du parlement Ivoirien : Un Sénat pour quel but et par quel mode de désignation des sénateurs?

Dans quelques semaines, les 6 millions d’électeurs ivoiriens seront appelés aux urnes pour répondre à l’unique question : « Approuvez-vous le projet de Constitution proposé par le Président de la République » ?

L’avant-projet de  cette constitution a été remis au Chef de l’État le samedi denier par le comité d’experts en charge de sa rédaction. Selon les informations, le parlement ivoirien aura désormais deux chambres : une « assemblée législative » et un « Sénat » dont 2/3 seront élus et 1/3 nommés par le Chef de l’État.




Si cette information est confirmée, les ivoiriens seraient en droit de demander l’utilité d’un Sénat pour la Côte d’ivoire et la pertinence du mode de désignation de ses membres.

Qu’est-ce qu’un Sénat

Un sénat est une institution politique du pouvoir législatif dans un régime à parlement bicaméral.
Le parlement bicaméral est une forme d’organisation du pouvoir législatif qui divise le parlement en deux chambres distinctes, une appelée « chambre haute » et une autre « chambre basse ».

Objectif du bicaméralisme

Le système bicaméral a pour objectif de modérer l’action de la chambre basse, élue au suffrage direct et représentant directement le peuple.

Dans un État Fédéral comme les États Unis ou l’Allemagne, la chambre haute est une assemblée constituée des représentants des États fédérés (Ex. Sénat aux États Unis, Bundesrat en Allemagne). Et la chambre basse quant à elle est une assemblée qui représente les citoyens. C’est par exemple la chambre des représentants aux États Unis et la Bundestag en Allemagne.

Dans un Etat unitaire, le système bicaméral est instauré pour permettre à la chambre haute de tempérer le pouvoir de la chambre basse. Considérant que la chambre basse relevant directement du peuple peut dans certains cas s’avérer populiste ou être en rupture avec les réalités du peuple, la chambre haute est appelée à relire et reconsidérer les textes votés par la chambre basse, donc modérer cette chambre.

A l’observation, le choix du système bicaméral pour la Côte d’Ivoire qui est un pays unitaire est légitime et une excellente chose à condition que ce soit dans le seul but de modérer le pouvoir de l’assemblée nationale (chambre basse) qui pour le plus souvent est largement mono-colore ou acquise à la cause des régimes en place. Dans ce cas, la création d’un Sénat serait une belle avancée démocratique car « les institutions ne sont légitimes que si elles sont socialement utiles ». Mais dans le cas contraire où l'objectif serait de servir de « garage » pour le personnel politique ou des militants "sans emploi" d'un pays politique, cela sera dommage non seulement pour la démocratie mais aussi pour la société ivoirienne. 

Modes de constitution du sénat

Au regard des pratiques dans le monde, on peut relever 5 modes d’établissement du Sénat:
1. La désignation au suffrage universel direct;
2. La désignation au suffrage universel indirect,
3. La désignation mixte (directe et indirecte)
4. La désignation par “système hybride”
5. Des exceptions

                   -  La désignation au suffrage universel direct 
Dans ce cas, l’ensemble du corps électoral (ceux inscrits que le liste électoral) est appelé à choisir, parmi les candidats en lice, lequel occupera la fonction de Sénateur.
C’est le cas aux Etats Unis, au Libéria et au Nigeria

                  -  La désignation au suffrage universel indirect 
Dans cet autre cas, les sénateurs sont élus par un collège électoral de « grands électeurs », eux-mêmes élus par les citoyens.  Pour le plus souvent, comme c’est le cas en France, ce collège de « grands électeurs » est composé des députés, des conseillers municipaux, des conseillers régionaux et des sénateurs.
C’est de cette manière que sont désignés les sénateurs en France, au Burkina Faso, en Allemagne, en Afrique du Sud, etc.

              - La désignation mixte (directe et indirecte)
     Dans le système mixte, c’est  une désignation combinant élection au suffrage universel directe et élection au suffrage indirecte.

C’est l’exemple en Espagne, où une partie des Sénateurs sont désignés par une élection au suffrage universel direct dans les provinces et une autre partie des sénateurs sont élus indirectement par l’assemblée législative de chacune des 17 communautés autonomes(L’Espagne est un Etat-Régional divisée en 17 grandes régions autonomes appelées communautés autonomes).

C’est aussi ce modèle qu’ont adopté le Soudan, le Japon et le Belgique. 

             - La désignation par “système hybride”
Enfin, le dernier modèle de désignation qu’on pourrait appeler« système hybride » est assez rare dans le monde. Dans ce cas, une partie des sénateurs est élue au suffrage universel indirect ou direct et une autre partie nommée par le Président de la République. C’est le cas du Cameroun.

              -  Des exceptions

           *  Le Canada
Au Canada, les Sénateurs sont tous nommés par le Gouverneur Général sur recommandation du Premier ministre, Chef de l’Exécutif. Cependant, la liste des personnes  recommandées par le Premier ministre pour nomination est établie par un organisme indépendant et non partisan dénommé « Comité consultatif indépendant sur les nominations au sénat ». Son mandat est de fournir au Premier ministre une liste de personnes qui ont entre 30 et 75 ans à nommer comme Sénateur après un appel à candidature ouvert et libre sous des critères préétablies. 

          * Le Royaume Uni
Au Royaume Uni, le Sénat appelé Chambre des Lords est composé de trois (3) grands groupes tous nommés par la Reine (personnalité neutre et non partisane)  sur proposition du Premier Ministre: les Pairs à vie (Life Peers), Les Pairs spirituels et les Pairs héréditaires

Aussi, il y a deux types de « Lords Pairs » :
·         -   Les Lords Partisans (issus des partis politiques)
·   - et les Lords Indépendants (sans parti politique, issu de la société). On appelle les membres indépendants des « Crossbenchers ».  Ils ont un caractère rassembleur, donc pas de chef de file. Leur indépendance constitue l’un des aspects caractéristiques de la Chambre des Lords.

Mode de sélection des trois (3) grands groupes au sein de la Chambre des Lords :

1               .  Pairs à vie (Life Peers)
Les Life Peers sont pour la plupart  d'anciens élus à la Chambre des Communes, ou d'anciens hauts-fonctionnaires, juges, ou anciens industriels ou anciens leaders syndicaux. Chaque gouvernement (la majorité au pouvoir) et chaque parti d'opposition a le droit tous les ans de proposer de nouveaux Life peers.

2               . Les pairs héréditaires
Les pairs héréditaires deviennent « lords » de père en fils. Ils sont 92 issus parmi les « grands » du Royaume. Le pouvoir se transmet donc dans ce groupe de « père en fils ».

3               . Les pairs spirituels
Ils sont 26 issus du haut clergé de l’église Anglicane. Ce sont les Archevêques et évêques de ladite Église.

La plupart des Lords ne touchent pas de salaires, à l’exception de primes de présence pour siéger à la Chambre ou aux réunions de commissions. Les membres de la Chambre des Lords ne représentent pas de circonscriptions.

Depuis 2000, une commission indépendante de nomination des Lords a été créée avec pour mission de faire des recommandations de nomination de personnes non partisanes (indépendantes). Aussi, elle filtre les nominations pour tous les Life Peers, y compris ceux proposés par les partis politiques du Royaume-Uni, afin de s’assurer des plus hauts standards de bienséance.



Au regard de ces expériences citées plus haut et des différents modes de désignation, les  citoyens sont en droit de se poser quelques questions  dans le cas de la réforme du parlement ivoirien au-delà de sa pertinence:

            - Quel est le (réel) objectif de la réforme du parlement ivoirien dans le contexte politique qui est le nôtre au point de vouloir nommer une partie des Sénateurs?                                                   
·                -    Est-ce pour tempérer la chambre législative (Chambre Basse) ?    
                  - Serait-ce pour contenter un quelconque personnel politique ou des « copains de lutte » ?

Si l’objectif ne vise simplement pas à « caser » des anciens copains,  nous pensons qu’avec le choix d’un mode de désignation transparent et adapté à notre contexte, le Sénat pourrait contribuer à améliorer effectivement notre démocratie et la gouvernance. Il faut donc que le Sénat prochain soit plus légitime et socialement utile. Pour se faire, on propose:

Propositions

1         -      Soit on procède par une élection de l’ensemble des sénateurs au scrutin universel direct

2         -      Soit on procède par une élection de l’ensemble des sénateurs au scrutin universel indirect par un collège d’électeurs composé des conseillers municipaux, des conseillers régionaux, les maires, les députés, les candidats aux élections sénatoriales, les faîtières et réseaux de syndicats et ONG.

3       -      Soit on procède par des nominations sur proposition de :
  •  Des partis et groupements politiques de l’opposition
  •   Des partis et groupements politiques du pouvoir
  •  Du conseil national de la jeunesse
  • Du conseil national de la femme
  • Des collectivités locales (UVICOCI et ARDCI)
  • De la Chambre des rois et chefs traditionnels
  • D’un collège des chambres professionnelles, les organisations professionnelles des travailleurs et employeurs et des organisations de la société civile.
Pour terminer, on retient que même si la création d’un Sénat peut se justifier, sa pertinence dans notre système politique et son utilité sociale dépendent entièrement du mode qui sera privilégié pour la désignation de ses membres. Le mode de nomination exclusive par le Chef de l’Etat n’est pas assez pertinent dans la mesure où notre contexte est marqué par une forte ascendance de l’exécutif sur les autres pouvoirs et surtout dans un environnement politique où des personnes nommées à des fonctions se sentent redevables ou se donnent le droit d’un « devoir de gratitude ». 

Faisons donc le bon choix pour que le Sénat soit socialement utile. 

Magloire N'DEHI



1 commentaire:

  1. Si on a un Senat, on peut fermer le Conseil Economique et Social donc la raison d'etat est peu connu?

    RépondreSupprimer