mercredi 17 février 2016

Et si on repensait les institutions politiques en Côte d’Ivoire ?




Une promesse… une dette

Il l’avait promis lors du débat télévisé entre les deux tours des élections présidentielles de 2010. Depuis lors, la fumée blanche annonçant la reforme tant espérée n’a pas encore eu lieu. Mais nous pouvons garder bon espoir puisqu’une réforme constitutionnelle est annoncée avant fin 2016.

Monsieur Alassane OUATTARA, Candidat lors des élections présidentielles de 2010 avait promis lors de la campagne électorale de 2010 d’importantes réformes institutionnelles et constitutionnelles. Il avait clairement exprimé face à son adversaire Laurent Gbagbo et devant la nation sa volonté de réaliser pleinement la « séparation des pouvoirs » et de tendre vers un autre régime politique autre que le  régime "présidentialiste" dans lequel vit la Côte d’Ivoire, en ces termes : « Je trouve que quand un pays sort de crise – c’est mon expérience que j’ai eue ailleurs quand j’étais au Fonds Monétaire international (FMI) et que je m’occupais des pays qui sortaient de crise, comme le Kosovo et bien d’autres – il faut un régime fort au départ. Nous devons donc maintenir le régime présidentiel pour une partie de la durée de notre mandat. A partir de là, il faut des accommodations. Peut-être qu’il faut une Assemblée qui ait tous les pouvoirs. Parce qu’aujourd’hui, l’Assemblée n’a aucun pouvoir. Le Premier ministre, par exemple, est nommé par le Chef de l’Etat et par la volonté du Chef de l’Etat. Il peut être, à tout moment, démis de ses fonctions. Ce n’est pas normal !... Je dis qu’il faut la séparation des pouvoirs. Il n’est pas normal que dans notre pays nous soyons dans une situation, où le Chef de l’Etat est le président du Conseil supérieur de la Magistrature. Nous avons hérité cela de la France. Mais, il faut que nous soyons dans une situation où nous aurons le pouvoir exécutif avec le chef de l’Etat, le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif. Parce que l’Etat de Droit n’est pas véritablement appliqué, Il y a des paroles, il y a des décrets, mais ce n’est toujours pas le cas.» Quel ambitieux programme ! Le Chef de l’Etat a bien eu raison de dénoncer chose pareille.

Une chose et son contraire…

En effet, la Côte d’Ivoire consacre dans le préambule de la Constitution son attachement à la « séparation et l'équilibre des pouvoirs ». C’est donc dire que le pouvoir exécutif n’est pas subordonné au pouvoir législatif ; encore moins au pouvoir judiciaire et vice-versa. Aussi, l’article 101 de la constitution stipule : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ». Mais dans la pratique, nous avons le sentiment comme le président OUATTARA en 2010 que cela n’est que le contraire.
Toujours dans la même constitution, il est écrit à l’article 104 : «Le Président de la République est le garant de l'indépendance de la magistrature. Il préside le Conseil supérieur de la Magistrature». Si la « séparation des pouvoirs » veut qu’en principe aucun pouvoir ne soit subordonné ou ne dépende de l’autre, nous comprenons mal pourquoi c’est le président de la république qui convoque et préside les réunions du Conseil supérieur de la Magistrature. Selon l’article 106 de la Constitution « Le Conseil supérieur de la Magistrature se réunit sur convocation et sous la présidence du Président de la République pour examiner toutes les questions relatives à l'indépendance de la Magistrature». Comment vouloir une chose et son contraire en même temps ?

Dans un tel contexte, les citoyens n’ont-ils pas le droit et même le « devoir » de douter de l’indépendance et de l’impartialité des juridictions nationales qui sont sous l’autorité du pouvoir exécutif qui juge de la promotion des magistrats.
On peut citer l’exemple de la bousculade du 31 décembre 2012 aux encablures du stade Felix Houphouët Boigny. Suite à cet évènement malheureux, le procureur de la république d’alors, Simplice Kouadio a été relevé de ses fonctions après un communiqué diffusé au journal télévisé, demandant à entendre certaines autorités politiques dans cette affaire. Grande fut la surprise des populations quand quelques jours après le communiqué du procureur, ce dernier est tout simplement « débarqué » et appelé à « d’autres fonctions ». Quelles fonctions ? Pourquoi en ce moment ? Sans mettre en question la décision du garde des sceaux, on s’interroge sur la coïncidence de la mutation du procureur avec son communiqué. Depuis lors, plus rien ! Silence radio sur cette affaire qui n’a eu pour sort que celui réservé à toutes les autres affaires de ce genre en Côte d’Ivoire : Affaire classée.
Espoir attendu

C’est donc avec raison que le candidat d’alors et actuellement Président de la République, Alassane OUATTARA avait exprimé sa « colère » contre de telles situations judiciaires et promis des reformes. Le peuple attend. Les citoyens espèrent que ces réformes verront effectivement le jour pour donner un véritable terreau de développement à la démocratie et à la liberté en Côte d’Ivoire. L’effectivité de la « séparation et de l’équilibre des pouvoirs » donnera à la Côte d’Ivoire d’espérer dans le rêve d’institutions fortes et garantes des libertés individuelles. Cette chronique a pour seul but de rappeler cette heureuse promesse du Chef de l’Etat.

Un changement lent à venir

Aussi, l’autre incompréhension que nous avons de nos institutions, est la relation entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif.
Si l’histoire de la Côte d’Ivoire a toujours vue le parti ou la coalition au pouvoir majoritaire à l’assemblée nationale, les citoyens ont toujours le sentiment consciemment ou inconsciemment que l’assemblée nationale n’est qu’une « caisse de résonnance » du gouvernement.
Nous avons aussi espéré lors du premier discours de Guillaume SORO, président de l’assemblée nationale qui avait promis une réelle séparation entre les deux institutions et un traitement sans complaisance des projets de lois. Mais, on peut juger qu’à ce jour beaucoup de choses restent à faire sur ce chantier. Les choses n’ont pas véritablement changé. La preuve avec la dissolution du gouvernement en mars 2013 après qu’une loi ait été rejeté par les députés. C’était ainsi un « message » fort de l’exécutif qui exprimait sa « colère » contre le pouvoir législatif qui finalement s’est « plié » aux « caprices » de l’exécutif. La loi rejetée a été tout simplement adoptée dans la suite des temps par nos députés après de nombreuses consultations dans les « états-majors » des partis politiques, malgré les réticences exprimées par l’opinion publique sur cette loi. On peut donc s’interroger si les députés sont effectivement les représentants des populations ou de simples relais des partis politiques? Pourtant la constitution est claire en son Article 66 : « Chaque député est le représentant de la Nation entière… ». Une fois élu, le député n’est pas un représentant d’un parti politique mais « représentant de la Nation entière ».

Aussi, entend t-on souvent lors de certaines missions ou des cérémonies cette expression : « le Président de l’Assemblée Nationale, représentant du chef de l’Etat ».
Le Président de l’Assemblée Nationale peut-il représenter le Chef de l’exécutif alors qu’ils sont tous deux issus de deux pouvoirs différents comme c’est souvent le cas ?
Sans nous opposer aux personnalités qui incarnent ces institutions, nous voulons montrer ici la faiblesse de nos institutions et leurs contradictions. Aussi, dénoncer le système et le fonctionnement de ces institutions. Pour le Juriste Français Jean Philippe Feldman, « les institutions ivoiriennes sont et ont toujours été antilibérales ».  C’est pourquoi, nous convenons bien avec le président américain, Barack Obama, qui disait que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais plutôt des institutions fortes. Cela avait agacé certains chefs d’Etats africains mais c’est une réalité à laquelle nous devons faire face avec courage.

L’espoir maintenant…?

La Côte d’Ivoire aspire à devenir un pays émergent d’ici à 2020. Ce vœu est noble et mérite d’être encouragé mais cela exige des réformes courageuses dans les domaines économiques, politiques et sociaux. Et l’une de ces reformes attendue pour bâtir une Côte d’Ivoire démocratique est la réforme du système politique. 
La réelle séparation des pouvoirs est primordiale pour le développement de notre pays. Elle est l'un des piliers fondamentaux de l'Etat moderne et de l’état de droit. La puissance publique doit respecter le droit et se soumettre au respect des normes. Le législateur doit créer le droit, l'exécutif doit faire respecter la loi, et le pouvoir judiciaire doit interpréter la loi et l'appliquer aux litiges.
Les lignes de cette chronique visent essentiellement à contribuer au débat en suscitant des pistes de réflexions qui pourront être approfondies et améliorées en perspectives à la modification constitutionnelle à venir.
La Côte d’Ivoire ne doit plus continuer de se payer le luxe de nombreuses contradictions constitutionnelles et institutionnelles qui plombent son développement.
Avant que les politiques ne viennent proposer leur vision de la gouvernance à venir, l’ensemble des forces vives de la Nation doit pouvoir engager la réflexion approfondie et faire des propositions concrètes à soumettre au comité de rédaction qui serait mis en place.
Pour notre part, un groupe de travail de jeunes pour les réformes constitutionnelles et institutionnelles est déjà mis en place depuis octobre 2015. Il pourra être étoffé d’autres compétences afin de contribuer modestement à donner à notre pays des institutions libres et indépendantes qui inspirent confiance et sont sources de progrès.

Parce qu’en fin de compte, nous avons compris comme Craig Tanimoto que : « Seuls ceux qui sont assez fous pour vouloir changer le monde y parviennent ». 


Magloire

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