lundi 10 décembre 2018

"En Marche" ou l’illusion d’une société sans contradictions politiques


« On avait dit qu’on allait bouger les lignes et en finir avec le clivage gauche-droite. Nous sommes peut-être entrain de gagner notre pari. » S’était réjoui Benjamin Griveaux, Porte-parole d’Emmanuel Macron sur le plateau de France 3 en Mars 2017.

Griveaux portait à voix haute l’idéal d’un homme, celui qui voulait en finir avec la vieille tradition politique de la France, le clivage gauche-droite.



Et pour casser ce clivage, Emmanuel Macron lance son mouvement « En Marche » portant les initiales de son nom « EM » et met en avant la nécessité de récréer de la dynamique pour « débloquer » la France.

Son discours séduit une partie de la France avec la « crème » de la classe politique et des intellectuels qui trouvent là l’occasion de mettre la France en mouvement.

"En Marche" s’efforce de briser toutes les « cases » et les « castes » où se réfugient les oppositions et les contradictions,…

Le Parti Socialiste est décapité, Les Républicains sont dispersés, des intellectuels de tous bords justifient une « avancée » pour la France. Toute la France quasiment est en marche dans un nouvel élan ni gauche, ni droite, ni centre. Ce qui compte, c’est la France disent-ils. 

Finalement, ce qui reste de la gauche fondamentalement, c’est un Mélenchon « insoumis » qui malgré la « grande gueule » n’est entendu de personnes.  La droite se « droitise » davantage à l’extrême avec une voix aussi aiguë de Marine Lepen ostracisée.

Les médias s’emballent, les intellectuels s'alignent et les finances se coalisent. L’euphorie est à son comble !

La France a retrouvée, enfin, le « Zoro » tant attendu pour révolutionner le système de représentativité  et l’espace politique à travers "l’illusion de la réconciliation nationale".

Les Français et Emmanuel Macron avaient oublié que la France était toujours une République qui exige la prise en compte de toutes les voix et sensibilités à contrario d’une monarchie dont la seule voix d’un monarque suffisait.

Ils oubliaient que la République de France était surtout une démocratie dont l’essence fondamentale est la conflictualité politique.

On avait oublié dans la foulée de l'euphorie que la "Démocratie" se nourrit essentiellement de conflictualités politiques, que "l'autocratie" vit de la pensée unique et "la dictature" de la coercition. 

Chaque système politique est un choix qui porte en lui ses propres conséquences.


Et comme le disait Paul Ricœur, « est démocratique une société qui se reconnait divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêts, et qui se fixe comme modalité d’associer à parts égales chaque citoyen dans  l’expression, l’analyse, la délibération et l’arbitrage de ces contradictions. »

L’erreur de l’offre politique du mouvement « En Marche » procède de sa volonté d'institutionnaliser « la dénégation de la conflictualité politique » en refusant de d'admettre de "vraies" contradictions et les divergences d’opinions dans la société Française. 

"En marche", c’était juste le report de l’expression des contradictions politiques, la marginalisation d’une opposition parlementaire, l’éclatement des partis politiques et l’embastillement des médias et d’une société civile et savante désillusionnée qui espérait une légitimité politique pour transformer la société (l’exemple parfait de Nicolas Hulot qui a fini par démissionner).

Les « gilets jaunes », c’est finalement l’extériorisation d’une contradiction politique refoulée d’une société "désabusée" qui n’ayant plus « d’avocats » préfère régler elle-même ses problèmes dans les rues.

Désormais, la France à trois (3) options :
1. Soit, elle opte "définitivement" pour une monarchie absolue où la volonté d’un seul vaut un commandement divin et exige soumission du peuple
2. Soit, la France choisit un système autocratique qui continue de mettre en morceaux les mouvements politiques et soumettre les idées à la pensée unique
3. Soit, les français assument s’être trompé comme Michel Coste, référent départemental de la LREM en Ardèche qui avouait avoir été « complice d’une escroquerie intellectuelle » avant de quitter ce mouvement.  Alors, il faudra restaurer la démocratie en libérant les énergies et les espaces politiques.

Montesquieu l'avait dit: "C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser; il va jusqu’à ce qu’il trouve des limites." 

Ce qu'il faut aujourd'hui à la France, c'est de retrouver des "espaces de consensus et d'arbitrage" avec une opposition notamment parlementaire légitime, des intellectuels et une société civile audibles capables de porter la contradiction et des partis politiques forts capables eux aussi de peser sur le débat public et d'influencer l'opinion.

Enfin, et si le tout "marketing politique" était un piège pour la démocratie et biaisait la volonté du peuple?

Et si en fin de compte, la crise des « gilets jaunes », était un message à tous ceux qui croient encore que l’unité d’une nation se résumerait à un vaste mouvement politique de large rassemblement et imagineraient en l'état actuel du monde une société démocratique sans « conflictualité politique »?


Magloire N'Dehi


2 commentaires:

  1. Merci pour ce texte si enrichissant Mentor !
    La démocratie est par essence conflictuelle.

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  2. Merci infiniment pour ce texte qui nous rappelle l'essence de la démocratie.

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