Passé le temps des émotions des premiers
jours après la publication du «nouveau-ancien » gouvernement Duncan III,
c’est maintenant le temps de réflexion et d’analyse de ce gouvernement qualifié
de « gouvernement de mission et de combat » par le premier
ministre Duncan.
Plusieurs spécialistes en communication
politique ou en gouvernance ont produit diverses analyses pertinentes les unes
comme les autres. Modestement, nous voulons à travers ses lettres faire
quelques commentaires sur la formation d’un gouvernement qui était tant
attendu.
Pour rappel, suite à ce qui a été qualifié
« l’affaire du mandat d’amener » contre le numéro deux ivoirien, le
président de l’Assemblée Nationale, mandat d’amener émis par la juge française
Sabine Kheris, le Président Alassane Ouattara a annoncé dans la foulée la nomination
d’un nouveau gouvernement. Il se disait que cette décision du Chef de l’Etat
cachait sa colère contre le ministre de
la justice et celui des affaires étrangères qui auraient mal géré ce dossier
hautement sensible.
Avant cela, au lendemain des élections
d’octobre 2015, le président Ouattara levait un coin de voile sur son futur
gouvernement lors d’une interview accordée à la télévision nationale le
mercredi 28 octobre 2015 disant : « Nous allons gouverner ensemble, les
membres du RHDP. Nous avons un bilan qui est extraordinaire et nous
continuerons ensemble (…) Il faut tenir compte de la répartition
géographique dans un gouvernement. Donner un rôle plus important aux jeunes,
aux femmes. Tout cela, nous allons le faire ».
En tenant
compte du jeu des alliances (RHDP), de la géopolitique, des compétences
et sur les principes du genre et de l’équité intergénérationnelle, ces propos du Chef de l’Etat tonnaient comme
la caricature d’un gouvernement « neuf » et plus « frais »
avec des jeunes et femmes représentés en nombre et qualité.
Le mardi 11 janvier dernier, le nouveau
gouvernement a été présenté avec 36 ministres au titre du gouvernement et 7
ministres au titre de la présidence.
Au regard des promesses du Chef de l’Etat et
de la réalité actuelle, quelques observations et commentaires méritent d’être
faits :
1.
La volonté
du Chef de l’Etat de former un gouvernement sans l’opposition et composé
uniquement de cadres du RHDP respectant la répartition géographique a été
savamment respectée.
En effet, le gouvernement DUNCAN III n’est
composé que de cadres issus des partis membres de la Coalition politique RHDP.
Chaque sphère géographique, Nord, Sud, Est, Ouest et Centre est représenté même
s’il n’y a pas d’égalité parfaite.
2.
Concernant
sa promesse d’accorder un plus grand rôle aux femmes et aux jeunes qui pouvait
être sous-entendu en nombre et en qualité, il faut admettre que nous sommes
loin et même très loin de ce vœu.
On note que seulement 5 des anciens ministres
ont fait place à 9 personnalités qui ont fait leur entrée dans le gouvernement.
On note :
1. Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
: M. Sansan KAMBILE
2.
Ministre des
Eaux et Forêts : M.
Louis-André DACOURY-TABLEY
3. Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la
Recherche Scientifique : Mme
Ramata LY-BAKAYOKO
4.
Ministre
auprès du Premier Ministre, chargé de l’Economie et des Finances : M. Adama KONE
5. Ministre de la Promotion de la Femme, de la
Famille et de la Protection de l’Enfant: Mme Euphrasie KOUASSI YAO
6.
Ministre de
la Fonction Publique et de la Modernisation de l’Administration : M. Pascal Abinan KOUAKOU
7.
Ministre de la Solidarité, de la Cohésion Sociale et de l’Indemnisation
des Victimes: Mme
Mariatou KONE
8.
Ministre des Droits de l’Homme et des Libertés Publiques : Mme Paulette Badjo EZOUEHU
9.
Ministre auprès du Président de la République, chargé de la Défense : M. Alain Richard DONWAHI
Au regard de ces noms,
on note que 4 nouvelles femmes font leur entrée faisant passé le nombre de
femmes ministres (gouvernement et présidence) quasiment du simple au double,
soit de 5 à 9. Ainsi, nous avons 20,93% de femmes ministres dans l’ensemble
(tant au titre de la primature que de la présidence).
Si on tient compte uniquement
du gouvernement, ce taux est de 25%. Même si le quota de 30% demandé par les
femmes n’est pas encore atteint, on peut se réjouir d’une telle avancée.
La promotion du genre, tant
encouragée par le chef de l’Etat ivoirien vient de se matérialiser ainsi au
plus haut sommet des instances de prise de décisions. Même si les femmes n’ont
pas de postes de souveraineté (Justice, Défense, intérieur et diplomatie),
elles occupent toutefois des ministères de grands budgets comme l’éducation
nationale et la santé et des ministères de grandes « sensibilité »
nationale comme la communication et les droits de l’homme.
A ce stade, on peut donc
affirmer que la lutte pour la promotion de la femme est en passe de payer.
Le grand drame dans ce
nouveau gouvernement comme les précédents, c’est la quasi-absence de la
jeunesse ivoirienne, elle qui représente la majorité de la population
ivoirienne.
Selon le Décret
N°72-745 du 24/11/1972, est
jeune en Côte d’Ivoire tout individu dont l’âge est compris entre 16 et 35 ans.
Tenant donc compte de la
dimension biologique et juridique, la jeunesse n’est représentée dans le gouvernement
actuel qu’à hauteur de 2,33% par M. Abdourahmane CISSE, (le 06
Août 2016, il aura 35 ans).
Même en tenant compte de la réalité sociologique qui
voudrait définir le jeune par des attitudes et comportements, on peut aussi
dire que la jeunesse fait l’objet d’une grande discrimination parce que les
jeunes socialement insérés et responsables à l’image d’Abdourahmane CISSE, il
en existe en nombre et en qualité en Côte d’Ivoire mais ils sont absents du
gouvernement.
Aussi, même en repoussant la borne supérieure d’âge
de la jeunesse plus loin comme le « Club du Sahel et de l’Afrique de
l’Ouest » (CSAO) jusqu’à 44 ans, le taux de 2,33% ne bouge pas.
C’est vrai qu’en tenant compte de la moyenne
d’âge du gouvernement, avoir 50 ans fait « jeune » dans ce
« nouveau-ancien » gouvernement mais nous pensons que le Président
aurait pu faire mieux en respectant son engagement par la nomination de plus de
jeunes (moins de 35 ans) ou jeunes adultes (moins de 45 ans).
La
jeunesse ivoirienne a été longtemps exclue de la gouvernance et peu représentée
dans les instances de prise de décisions.
Elle
espérait mieux cette fois-ci quand on sait qu’elle représente 77,7% (les moins
de 35 ans) de la population.
Dans
notre pays, la participation des jeunes aux processus politiques officiels et à
la gouvernance reste très limité et la volonté d’améliorer la situation peine à
s’affirmer.
Les
jeunes sont totalement exclus des processus décisionnels, d’élaboration et de
mise en œuvre des grandes orientations et du coup, ils se sentent déconnectés
du leadership politique. Ils sont considérés comme de simples consommateurs de
politiques prédéfinies qu’ils ont du mal à digérer parfois.
Pourtant
le Chef de l’Etat a affirmé son ambition de faire de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2020
un pays émergent. « Une Côte d’Ivoire rassemblée autour des valeurs
républicaines. Un Etat moderne, respectueux de l’indépendance de la justice,
qui luttera contre l’impunité et assurera la promotion du mérite et
de la compétence». Alors, pourquoi, il n’y a quasiment
pas de jeunes promus à de hauts postes de responsabilité ? Ne sont-ils pas
aussi « méritants » et « compétents » pour bâtir la Côte
d’Ivoire émergente ? Ou alors, cette émergence devra se faire sans la
compétence jeune comme décideur également ?
A
cette étape de nos propos, nous voulons affirmer avec force qu’il n’est pas
question d’une mise en cause des compétences des ministres nommés encore moins
douter de leur engagement à servir loyalement l’Etat de Côte d’Ivoire et ses
citoyens. La question ici, c’est : « pourquoi pas un jeune méritant
et compétent quand il
s’agit d’institutions de prise de décisions ou d’élaboration de
politiques? ». Certains répondent si facilement souvent:
« le jeune, il n’a pas d’expériences ». Oui, mais comment aura-t-il
l’expérience et où l’aura-t-il dans une société qui continue dans le
« déni de compétences » des jeunes et ne leur donne pas l’occasion de
se faire valoir.
L’expérience
ne peut se décréter. Elle s’acquiert à l’épreuve de l’exercice. C’est
d’ailleurs pourquoi, depuis quelques années, nous proposons une «
Gouvernance Intergénérationnelle » qui privilégie la prise en compte de toutes les générations (jeunes et ainés) dans les
mécanismes de gestion des organisations (publique & privée) et des affaires
publiques.
Fondée sur 4 principes, la « Gouvernance Intergénérationnelle », loin
d’être une approche de positionnement et de lutte de leadership, c’est avant
tout et pour tout une question d’éthique et d’équité.
La gouvernance intergénérationnelle est un CONSENSUS traduisant
l’importance de la gestion active de toutes les générations (i) et de la
transmission des compétences (ii), pour préserver l’expérience et les
compétences (iii) dans les organisations et institutions, et
intégrer les nouvelles compétences (iv) qu’apportent les jeunes.
La
Gouvernance Intergénérationnelle tire son essence dans la pensée de Nelson
Mendela qui disait que ce qui est
fait pour
nous, que d'autres ont décidé sans
nous est en
réalité contre
nous.
La Côte d’Ivoire, notre beau pays a vécu
plusieurs années d’errements et de déni sous toutes ses formes avec maintes
obstacles à la pleine participation politique des jeunes longtemps considérés comme de la « main d’œuvre
politique » utile que pour disposer des chaises et soulever des bâches de
meeting.
A l’heure où
le pays fait sa marche vers le progrès, la jeunesse doit (re)trouver la
reconnaissance en tant que catégorie sociale politiquement responsable. Levier
d’innovation, la jeunesse doit être associée comme partenaire de développement
et considérée comme un potentiel pour construire la Nation ivoirienne, la terre
d’Espérance.
« Peut-être le décalage entre les générations est-il
beaucoup plus dans la forme que dans le fond. » Marcel
Aymé
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